Séances parallèles VI - Axe Théâtre québécois d'hier à aujourd'hui
Session de communicationsLocal : CSL-3788
Le territoire dans la dramaturgie au Québec et au Canada français
Modération : Hervé Guay (UQTR)
Sophie Devirieux (UQAM/University of Waterloo)
Les petites mains du territoire : analyse comparée de deux pièces en Abitibi
Alexandre Gauthier (U. d’Ottawa)
Michel Marc Bouchard et le fardeau du territoire
Sandrine Duval (U. McGill)
D’Overlap à Bouée ou de l’exiguïté à l’(univers)el·le
Alexandre Cadieux (CEAD)
Repousser la frontière : colonisation du territoire et théâtre de genre
SQET
Les petites mains du territoire : analyse comparée de deux pièces en Abitibi
Michel Marc Bouchard et le fardeau du territoire
D’Overlap à Bouée ou de l’exiguïté à l’(univers)el·le
Repousser la frontière : colonisation du territoire et théâtre de genre
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Axe Théâtre québécois d'hier à aujourd'hui
Le territoire dans la dramaturgie au Québec et au Canada français
Sophie Devirieux
Les petites mains du territoire : analyse comparée de deux pièces en Abitibi
Un coin jeté dans l’nord (2022) d’Alexandre Castonguay et Nicolas Lauzon et Habiter les terres (2016) de Marcelle Dubois proposent un retour en Abitibi, territoire de la dernière colonisation québécoise, valorisé pour ses matières premières puis délaissé après la baisse des activités d’extraction. Chez Castonguay et Lauzon, la fermeture d’la shop a bousculé l’ordre social tandis que, chez Dubois, dans la commune utopique de Guyenne, la terre « garde toujours un ou deux filons pas découverts pour laisser au chercheur d’or, au vrai, le bonheur de croire que demain, ce sera pour lui, et lui seul, qu’elle ouvrira ses entrailles » (Castonguay et Lauzon, p. 22) Si trouver le filon d’or témoigne d’une appartenance charnelle à la terre, la perte du lien d’exploitation via la shop laisse les gars du coin dans un désœuvrement violent. Dans les deux cas, le retour au territoire d’une jeune femme provoquera le passage à tabac d’un bouc émissaire : la prise d’otage d’un représentant du gouvernement, enterré jusqu’à la ceinture par la communauté résistante de Guyenne – qui se défend d’être terroriste ou souverainiste –, et un viol collectif déguisé en « carnaval de la bouette », perpétré par les gars d’la shop.
Bien qu’adoptant un registre et des postures différents, les deux pièces recourent à un « imaginaire colonial québécois » (Giroux, 2020) pour mettre en scène l’appartenance au territoire de personnes en quête de leurs racines, perdues ou à venir.
Bio: Sophie Devirieux est conseillère dramaturgique et chercheuse. Sa thèse de doctorat intitulée Politiques de la scène. Une analyse comparative des scènes contemporaines de théâtre entre Montréal et Berlin lui a mérité le prix de la chercheuse émergente de la SQET. Elle est aujourd’hui chargée de cours à l’École supérieure de théâtre de l’UQÀM et conseillère à la réussite en Littératures et de langues du monde de l’Université de Montréal. Elle est également chercheuse associée à la Chaire de Recherche du Canada en études des minorités à l’Université de Waterloo (ON).
Alexandre Gauthier
Michel Marc Bouchard et le fardeau du territoire
Comme l’affirme Francis Langevin, « la mort […] est une fonction cardinale de la représentation de la région, à travers notamment les motifs migratoires du retour, de l’exil et de la transhumance. C’est la mort […] d’un parent qui motive un mouvement des personnages vers la région d’origine, ou encore qui motive leur départ de cette région. Une série de retours visent donc à révéler des traces du passé, à interpréter — pour le célébrer ou le critiquer — un héritage menacé d’effacement. » (2019) S’il écrit ceci dans un contexte où l’on constate une résurgence de la région dans la production littéraire et dramatique québécoise et franco-canadienne récente, force est d’admettre que cet imaginaire régional, cette « régionalité » est bien présente chez Michel Marc Bouchard depuis Les feluettes. Il s’est toujours gardé d’être associé au terroir ou à une forme de régionalisme, car le premier territoire exploré n’est pas le lieu géographique, mais bien d’abord celui « du cercle familial ». (Huffman, 2007)
Or, la famille et la région sont indissociables et, dans Le Chemin des Passes-Dangereuses (1998) et La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé (2019), on trouve la trinité identifiée par Langevin : région, retour, mort. Mais le rapport à l’ « héritage » est complexe. En fait, de quel héritage s’agit-il au juste? Comment l’opposition ville-périphérie-région dans les deux pièces permet-t-elle d’interpréter les personnages, leur passé, leur avenir? Comment le lieu participe-t-il à l’identification et à la différenciation des personnages? (Langevin, 2016) Quel est le rapport entre le territoire et le secret. Peuvent-ils y échapper? Ou portent-ils en eux, comme un fardeau, leur terre natale?
Bio: Alexandre Gauthier est doctorant en lettres françaises à l’Université d’Ottawa. Sa thèse de doctorat porte sur le rapport entre l’imaginaire catholique et l’écriture dramatique au Canada français après la Révolution tranquille et sur la façon dont cet imaginaire contribue à la construction des personnages masculins. Titulaire d’une maîtrise en jeu classique de la Royal Central School of Speech and Drama de Londres, il est comédien, professeur à temps partiel au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa et trésorier de la Société québécoise d’études théâtrales. Il est aussi assistant de recherche au Laboratoire de recherche sur les cultures et littératures francophones du Canada sous la supervision de Lucie Hotte.
Sandrine Duval
D’Overlap à Bouée ou de l’exiguïté à l’(univers)el·le
« Chuis une zone grise au milieu de vos guerres de clocher en noir et blanc. » (Overlap, p.30)
L’univers théâtral que Céleste Godin met en scène dans Overlap (2020) et Bouée (2023) se situe dans une zone grise, qui est à la fois ancrée dans l’exiguïté d’une petite littérature nationale, telle que décrite par François Paré (1992), et dans une tentative d’universalité qui dépasse tout centre littéraire. Le territoire, qu’il soit régional ou intergalactique, devient un outil de questionnement et de (dé)construction de l’identité.
Cette (dé)construction se produit grâce à une stratégie de décentralisation où les personnages quittent la région périphérique pour aller non pas vers la métropole, mais vers l’espace intersidéral. L’exiguïté devient un prétexte à l’expérience régionale commune dans Overlap. En ces lieux, « [l]es particularismes locaux deviennent ainsi les signes d’un particularisme » non plus national, comme le propose Francis Langevin (2016), mais universel. Puis, Bouée utilise l’espace, un lieu où les codes et les normes sociales sont perpétuellement en (dé)construction, pour mobiliser simultanément les outils d’assimilation et de différenciation (Casanova, 1999).
Ainsi, l’univers théâtral de Godin repousse le territoire, cela lui permet de faire à la fois inventaire et table rase des identités, pour tenter de mettre en lumière l’humanité. Dans cette perspective, l'approche géocritique, telle que définie par Bertrand Westphal (2007), permettra d'analyser les interactions entre l'espace et les représentations littéraires. Les travaux de Julia Serano (2007) et Judith Butler (1990) offrent également des perspectives enrichissantes sur la (dé)construction des genres dans l'œuvre de Godin.
Bio: Sandrine Duval est étudiante au doctorat en littérature française à l’Université McGill. Sa thèse, porte sur la dramaturgie des femmes franco-canadiennes et est financé par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada. Elle a effectué un stage de recherche auprès de la chaire de recherche dans le cadre du programme de Coopération en recherche dans la francophonie canadienne de l’Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (Acfas). Elle détient une maîtrise en études littéraires de l’Université de Moncton.
Alexandre Cadieux
Repousser la frontière : colonisation du territoire et théâtre de genre
Comme le rappelait le géographe Jean Martin en 1993, de la défaite française de 1763 résulta un enclavement : « Après la Conquête, l'espace français en Amérique va se trouver radicalement transformé. D'ouvert qu'il était, il se verra d'abord enfermé, puis forcé au repli par les redécoupages de frontières et l'établissement de nouvelles populations anglophones sur son flanc ouest. » (1993 : 407). Cette fermeture spatiale aurait prévenu le développement à long terme d’un imaginaire québécois de la « frontier » toujours repoussée, théorisée par Frederick Jackson Turner en 1893 et observable dans les cultures états-uniennes et anglo-canadiennes du XIXe siècle, avant d’être en partie réactivée au siècle suivant par John F. Kennedy et la conquête de l’espace.
La dramaturgie québécoise contemporaine fournit pourtant quelques exemples de conquêtes territoriales et de frontières repoussées. Les pièces Dominion (2013) de Sébastien Dodge et Nous autres antipodes (2014) de Marie-Claude Verdier ont ceci en commun qu’elles pourraient toutes deux être qualifiées de théâtre « de genre » (le western pour la première, la science-fiction pour la seconde) et être lues comme des critiques de certains « triomphes historiques » canadiens et québécois, à savoir le développement du Canadien Pacific ou encore la Révolution Tranquille et la montée du Québec Inc. Qui sont les collectivités répondant ici à l’appel de la frontière ? Que cherchent-elles ? Comment les libertés octroyées par les codes de la littérature de genre permettent-elles de revisiter ou d’imaginer ces prises de territoires ?
Bio: Alexandre Cadieux est responsable du centre de documentation au Centre des auteurs dramatiques (CEAD). Il a aussi été chargé de cours à l'École supérieure de théâtre de l'UQAM et au département de théâtre de l'université d'Ottawa, critique au Devoir et à la revue JEU, arbitre à la Ligue nationale d'improvisation (LNI) et aide-bibliothécaire à l'École nationale de théâtre du Canada.