Doctes assemblées

Commission de Jordana Cox

Traduit par Jeanne Murray-Tanguay

À propos de « Doctes Assemblées »

La thématique « Doctes assemblées » fait écho aux origines de TheatreAgora.ca ainsi qu’à sa raison d’être. En plein cœur des confinements liés à la COVID-19, cette plateforme est née d’un besoin : devant l’impossibilité d’organiser des rassemblements, les comités organisateurs des colloques de la SQET et de l’ACRT ont rapidement conçu un espace de rencontre virtuel. Ce qui n’était alors qu’une solution temporaire pour se réunir, en attendant de pouvoir se retrouver en personne, s’est révélé riche de nouvelles opportunités pour les études théâtrales. Au fil de l’élaboration du site, les membres des deux organisations se sont interrogé·es sur ses autres possibilités : pourrait-il devenir un repère numérique stable, à même de faciliter des assemblées plus polyvalentes, accessibles, durables et peut-être plus justes?

Des représentant·es de la SQET et de l’ACRT ont formé un comité dont les réunions, régulières, portaient non seulement sur la planification des colloques, mais aussi sur des questions plus vastes liées au partage des connaissances dans un contexte de divisions linguistiques, géographiques, culturelles et économiques. Nous avons consulté des traducteur·trices, des interprètes en langue des signes, des designers et des développeur·euses Web, de même que des consultant·es en organisation et des spécialistes de l’équité afin d’élaborer des approches justes et équitables de l’assemblée.

Les travaux réunis ici s’inscrivent dans la poursuite de ces démarches. Grâce à une subvention du programme Pulsion numérique Volet 2 du Conseil des arts du Canada, obtenue par Katrina Dunn et Nicole Nolette, nous avons soutenu quatre chantiers réflexifs. Notre appel à contributions, diffusé à l’hiver dernier, invitait les chercheur·euses, artistes et travailleur·euses culturel·les à réfléchir aux « doctes assemblées », entendues au sens large comme des rencontres entre des êtres humains, non humains ou inanimés. Je suis ravie d’en partager les résultats, qui incarnent l’engagement de TheatreAgora.ca à créer des ponts entre les langues, les médiums et les points de vue.

Dans Jane Doe: Counter Memory Against the Silence, Sorouja Moll tourne son regard vers les femmes dont les noms sont absents des récits historiques officiels. Dans son installation multimédia, une astronaute émerge du lac Ontario, prend le TTC et parcourt les rues de Toronto. Des passants·es la regardent avec curiosité, tandis que d’autres évitent soigneusement tout contact visuel. L’astronaute est présente, mais reste insondable – et porte d’ailleurs un nom, prononcé par la voix hors champ de Moll, qui « […] a échappé à l’attraction gravitationnelle d’une lune ».

Avec Zeno’s Paradox: A Docu-Animation Film on the Israel-Palestine Conflict, Danny Atari et Daniella Mooney offrent quant à eux·elles un aperçu d’une rencontre qu’il·elles ont organisée entre des Palestinien·nes canadien·nes, des Israélien·nes, des Juif·ves et des Musulman·es. Entretissés à des séquences vidéo, des passages du poème « Rita and the Rifle » de Mahmoud Darwish sont récités en voix hors champ, en arabe et en hébreu, par Atari. Celui qui porte les mots de Darwish découvre un fusil, braqué entre Mooney, sa bien-aimée, et lui; ensemble, il·elles prolongent ainsi une réflexion sur les formes de relations possibles en contexte de violence catastrophique.

Seaside notes from the Rock waltz étude est ensuite l’occasion pour Christine Mazumdar de mettre en scène des rencontres lyriques avec le monde naturel. Cette œuvre est tirée de Seaside Words for the Disappearing Girl, un recueil de poésie que l’artiste a écrit confinée, alors qu’elle devait prendre soin de sa mère au plus fort de la crise sanitaire. Mazumdar danse sur un rivage rocheux, « water touchant [s]es feet », entre absence et présence, mémoire et perte.

L’eau apparaît également comme source d’alliances et de sens dans « Et si aujourd’hui j’avais le pouvoir d’un fleuve de mots : imaginaires, structures et influences du fleuve et de l’eau dans la dramaturgie québécoise ». Dans cet essai, Lorie Ganley, Pierre-Olivier Gaumond, Enzo Giacomazzi et Nicole Nolette témoignent d’un événement axé sur la dramaturgie contemporaine québécoise qu’il·elles ont organisé en tant que codirecteur·trices de l’axe Théorie et critique de la SQET. En réfléchissant depuis les œuvres de Rébecca Déraspe, Marianne Dansereau et Dave Jenniss, il·elles retracent les remous et marées du fleuve Saint-Laurent. Ganley et ses coauteur·trices honorent la centralité du fleuve dans l’identité québécoise tout en reconnaissant les « déséquilibres et inégalités » qu’il entraîne avec lui. Il·elles conçoivent le fleuve comme une invitation, lancée aux dramaturges du Québec, à se reconnecter avec les eaux qui les entourent, à collaborer avec elles pour « lancer un canot ».

Jordana Cox
Commissaire

Doctes assemblées

Au cours de l’année 2023-2024, les quatre coresponsables de l’axe Théorie et critique de la Société québécoise d’études théâtrales (SQET), Lorie Ganley, Pierre-Olivier Gaumond, Enzo Giacomazzi et Nicole Nolette, ont entamé une réflexion collective sur nos façons de raconter, de nommer et de définir la dramaturgie québécoise, en s’inspirant du Lexique du drame moderne et contemporain dirigé par Jean-Pierre Sarrazac (2005). Dans une volonté de proposer plusieurs chantiers de réflexion ouverts sur les formes et les motifs de la dramaturgie québécoise, le premier s’est concentré autour du motif du fleuve et des eaux dans les textes dramatiques québécois. Le 18 avril 2024, une conférence-discussion eut lieu au Centre des auteurs dramatiques (CEAD) à Montréal, où les chercheur·euses purent réfléchir et échanger avec trois auteur·trices qui manifestent un imaginaire du fleuve Saint-Laurent dans leurs pratiques d’écriture, soit Rébecca Déraspe (Les filles du Saint-Laurent, Les glaces), Marianne Dansereau (Désormais je menstruerai drette dans le fleuve) et Dave Jenniss (Nmihtaqs Sqotewamqol / La cendre de ses os). Ce texte en propose une traversée. 

The objective of Jane Doe: Counter Memory Against the Silence project explores, across iterations, how unidentified women and girls (who are identified as “Jane Doe”) are remembered and acknowledged using media activism (Stillman, 2007), rememory (Morrison, 1987), and spatiotemporal translingualism in liminal spaces (Canagarajah, 2018; Schneider 2011, 2017, 2018). The battle between remembering and forgetting is located in the discursive anonymity of “Jane Doe,” a bureaucratic pseudonym which is often entrenched in violence, fear, and shame, and thus individual stories are disavowed and rendered insignificant. The aim of this work is to vitalize disenfranchised beings in the public imagination by activating epistemologies, ontologies, and axiologies of lived lives and refusing social memorylessness and gender-based violence by opening portals for a gathering of remembrance, a meeting place for meditation, and
a knowing that is invested in change.

The Rock waltz étude provides excerpts from a much larger anthology called Seaside Words for the Disappearing Girl, which explores performances in nature during the final three years of my mother’s life while acting as one of her caregivers. During the height of the COVID-19 pandemic, we lived in isolation in an effort to protect my mother’s immune system. Performing with her, for her in our most cherished outdoor spaces— in her garden, by the river, on the rocks—I questioned what it is to perform in deepened connection with absences and presences.

An anti-war anti-occupation documentary and animation short on hope of equal human rights in Israel and Palestine, in a gathering between those from the region and in the diaspora. Inspired by a reading of Mahmoud Darwish’s Rita and the Rifle.

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